Pages

lundi 25 juin 2012

Dormez, dormez ,on s'occupe de tout....

20 juin 2005



Il ne s’agit que de la pointe extrême d’un système médiatique qu’il faut tenter de comprendre en profondeur si l’on veut avancer.




L’ évolution sociologique :

L’émission de Fogiel présentait un autre intérêt que l’amer plaisir de vitupérer l’époque, avec la venue de Jeanne Moreau sur le plateau pour protester contre la vente à la découpe des appartements du centre de Paris (1)(comme d’ailleurs de Lyon et Marseille ), nous étions confrontés à un fait de société. 

Ce n’étaient plus seulement les pauvres, les chômeurs, les basanés que l’on chassait du centre ville, mais les "bobos" imprévoyants, ceux qui pouvaient encore payer plus de 2500 euros de loyer mais qui n’avaient pas le capital pour acheter "au prix du marché", les "cigales" si occupées à tenir leur rang qu’elles avaient vécu à crédit. Ceux qui n’avaient pas l’héritage de parents bourgeois ayant épargné pour fournir à temps à leurs enfants la somme nécessaire pour devenir propriétaire.
Entendre les "bobos" à 2500 euros de loyer mensuel crier "à la déportation" en banlieue est riche d’enseignement sur l’évolution de la société française.

Il y a eu en gros trois étapes. la première correspond au niveau international comme au niveau national à la période allant de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’au début des années 80. Il y a eu une sorte de moyennisation de la société, on parlait même d’"embourgeoisement" de la classe ouvrière, le rapport capital/ travail restait relativement stable mais témoignait d’une évolution lente favorable au travail. On assisté durant cette période à une mobilité ascendante des catégories sociales, les enfants se retrouvant en général à un niveau supérieur de celui des parents. Le système scolaire a été le grand vecteur de cette mobilité. Au plan international, on a assisté à une évolution comparable et Emmanuel Todd a très justement noté que cette période est celle de l’alphabétisation, de "la transition démographique" dans de nombreux pays du tiers-monde. Il a également noté ce qu’une telle évolution devait aux pays socialistes et plus généralement à des choix nationaux de développement.

Le début des années 80 coïncide avec une série d’événéments sur un fond structurel de remontée du profit et de pression sur le travail. Nous assistons à la contre-offensive du Capital sous sa forme néo-libérale, c’est-à-dire le tout marché financiarisé des multi-nationales faisant sauter tous les instruments de régulation. Il y a la chute de l’URSS et du socialisme européen mais aussi une atonie générale des luttes revendicatives. Le rapport capital/travail se renverse et le capital ne cesse de faire pression sur le travail, emploi, salaires mais aussi services publics. Dans un premier temps, le phénomène ne semble toucher que les damnés de la terre. Dans les pays occidentaux on parle d’exclusion, et une bonne part du tiers monde s’enfonce dans le sous développement. Mais on reste dans l’idée dans les pays occidentaux de "la moyennisation" de la société et sur le fait qu’une partie importante de la société des pays occidentaux demeure protégée. Cependant la mobilité ascendante est freinée et les inégalités se creusent.

Nous sommes entrés dans une troisième période où non seulement la situation devient de plus en plus intolérable pour "les exclus", les "chômeurs", les paysans du tiers monde, mais où les salariés sont attaqués sévérement. D’abord les bas salaires, mais pas seulement. Si la possession du diplôme demeure une garantie, celle-ci ne suffit plus et aujourd’hui en terme de pression sur le pouvoir d’achat, sur le niveau de vie, des couches assurées jusqu’ici d’une certaine stabilité entrent en crise et leurs enfants ne sont plus assurés de poursuivre cette mobilité ascendante. On assiste à la mise en concurrence mondialisée non seulement des forces de travail les moins qualifiées mais des diplômés (c’est là le choc de la circulaire Bolkenstein, les services sont atteints comme d’ailleurs il est question de faire venir massivement les diplômés du tiers-monde). Cette nouvelle pression non seulement accroit le sous-développement en privant les pays de gens formés avec de grandes difficultés mais elle touche une grande partie des diplômés (en particulier ceux du service public) des pays occidentaux. Comme le prouvent les enquêtes sur le pouvoir d’achat, s’en sortent les professions libérales et les commerçants alors que les autres s’enfoncent. Paris intra-muros paraît épargné mais le reste du pays qui n’est pas rural (les salariés doivent aller chercher de plus en plus loin leur logement) est profondément atteint. Le Non à la Constitution néo-libérale reflète cela.

Mais ce dont témoignait Jeanne Moreau est particulièrement intéressant. La loi du marché est en train de s’attaquer aux bobos eux-mêmes, ceux qui jusqu’ici avaient pu tenir un certain standing, avait tenu leur rang à crédit mais sans accumulation de capital. C’est le logement mais ce sont les modes de vie de la couche non capitaliste mais jusqu’ici totalement privilégiée qui est en question.Face à cette situation, le monde paillettes et strass ne voit d’issue que dans le maintien de ses privilèges et donc dans l’accentuation du mépris des pauvres, qu’il s’agisse de ceux des pays occidentaux, que de ceux du Tiers-Monde. Ils vivent dans le danger permanent des hordes barbares.




Tentative de compréhension du système :

Si l’on ne mesure pas cette évolution sociétale, on ne perçoit pas en quoi ce personnel médiatique, ce petit monde de la presse est contraint à être ce qu’il est. Au niveau le plus général, celui de la piétaille journalistique, les conditions sont comparables à celles des salariés diplômés et qualifiés avec l’extension du chômage et de la précarité. Mais si l’on veut atteindre la direction du Système, participer aux allées du pouvoir, il faut payer son écho de corruption. C’est un monde soumis à une terrible concurrence pour ne pas tomber de "la charrette".

La formation des journalistes mérite d’être étudiée, un récent article de "manière de voir", consacré à la presse par le Monde Diplomatique, montrait à quel point cette "formation" produisait une absence de curiosité intellectuelle, un conformisme. Si à partir de cette formation, on resitue la carrière du journaliste dans le contexte précédemment évoqué celui d’"élites" profondément corrompues gouvernant les "contenu", on comprend mieux le produit final et les "bides" auxquels ils aboutissent comme récemment l’annonce de l’absentéisme électoral en Iran. Sans parler de la pression médiatique en faveur du OUI, un fiasco intégral qui semble pourtant ne pas avoir semé le moindre doute dans ce petit monde auto-proclamé, auto-entretenu dans une rupture totale avec le reste de la population.

Il s’agit non pas des journalistes mais de "leur production" puisque chacun sait désormais que si 90% des produits médiatiques (émissions, articles) prenaient partie pour le OUI, la situation était différente dans les salles de rédaction. Il y a donc un système qui bien sûr revient à l’évidence déjà énoncée par Marx en son temps : dans une société les idées dominantes sont celles de la classe dominante. Mais avec la concentration de la presse, le poids des grands annonceurs, le phénomène a pris une ampleur inouïe, celui d’une propagande totalitaire. Et de surcroît, il est toujours intéressant d’analyser comment et pourquoi une masse de gens est contrainte à soutenir des intérêts qui ne sont pas les siens. Pour être clair, comment et pourquoi la grande masse des journalistes, qui ne peut pas accéder à un loyer de 2500 euros par mois, se met-elle à la remorque de réseaux corrompus des directions de rédaction eux-mêmes complétement intégrés ? Certes parce que comme les autres salariés l’emploi en dépend, mais incontestablement la soumission idéologique, corporatiste, va bien au-delà...

Elle passe ici, comme ailleurs, par la mise en coupe réglée des formes de solidarité collectives.
Au syndicalisme professionnel qui devait affronter les patrons de presse et les dirigeants de chaîne, tend à se substituer un "corporatisme" idéologique soumis aux mêmes. Un personnage comme Robert Ménard est tout à fait illustratif de cette évolution. Il est systématiquement "du côté du manche", largement financé par les annonceurs comme publicis, mais aussi les patrons de presse, qu’il ne remet jamais en cause, pas plus d’ailleurs que les maîtres nord-américains avec qui ses liens sont manifestes. Cela relève plus de la mafia que du syndicalisme... Comment un personnage aussi totalement controversé que Robert Ménard peut-il être ainsi promu ? Si tous sont complices de cette promotion, peu sont totalement dupes, à titre d’anecdote quand il téléphone dans les journaux, tout le monde en riant dit MCM, "merde c’est ménard"... Sa défense des "journalistes" relève du Show Bizz et transforme tout en "sensationnel", tout en évacuant les questions qui fâchent et qui relèvent de la mise en cause du capital. Il faut également noter que ce type d’individu fonctionne dans des "réseaux", des "personnalités" qui en général sont les mêmes que ceux qui ont droit au pages de "libre-opinion" dans la presse nationale. Le cas type étant Bernard henry Levy, mais il y en d’autres. Il se constitue un conglomérat de pseudo-experts, d’intellectuels dont on transforme les écrits en best-sellers.

Appartenir à cette élite médiatique est la seule garantie non seulement de jouir de publicité mais de bénéficier grâce à elle de tirages confortables et de revenus. C’est la garantie que l’on peut se maintenir dans des modes de vie de l’élite : appartements dans le centre de Paris, sorties rétribuées par Publicis, voir des moeurs encore plus coûteuses comme l’addiction à la cocaïne. C’est le dessus du panier et la grande masse des journalistes vit une toute autre existence tout en partageant des conditions de concurrence et de précarité qui les soumettent aux patrons de presse mais aussi aux directions de rédaction qui participent de ce show Bizz.

Car aux phénomènes précédemment évoqués, il faut ajouter les exigences de rentabilité et les consignes d’éviter les sujets qui fâchent (par exemple les annonceurs) qui sont l’aspect structurel du système. Les exigences de rentabilité produisent non seulement le goût du sensationnel et les attitudes type Fogiel, Ardisson et autres mais une véritable ignorance des faits. Ainsi on ne peut qu’être effrayé par l’incompétence sur les sujets internationaux, la dé-contextualisation systématique, les contre-vérité sur les civilisations et les peuples et l’on se demande comment, même avec les consignes politiques, on peut aboutir à un tel résultat de décervelage. Il y a, on l’a vu, la formation à la superficialité, mais il y a aussi le fait qu’avec les réductions de personnel, la suppression du dit personnel sur le terrain, reporters ou agences, la plupart des informations émanent soit de journaux étrangers que l’on recopie, soit de dépêches d’agence que l’on reproduit sans savoir tés bien de quoi il est question.

Le tout donne une tonalité générale aux salles de rédaction faite de cynisme et de mépris pour le lectorat ou pour l’auditeur. Dans ce système précarisé et concurrentiel, on joue les pseudo-solidarités corporatistes, non pour défendre réellement un collègue menacé, ou une information digne de ce nom, mais "une profession" largement fantasmée.




Que faire ?

Nul ne peut se réjouir d’une telle situation. Il en est des journalistes comme du monde politique qui est d’ailleurs largement soumis aux mêmes errances, on peut les mépriser et ils font tout pour ça, mais ce n’est pas la solution ni pour les uns, ni pour les autres. Car si l’on ne se donne pas les moyens d’aider à l’apparition d’une autre presse comme d’un autre personnel politique on aboutit au pire à une sorte de poujadisme anti-élite, un mépris total des journalistes qui n’aide pas ceux qui ont une autre conception du métier. Pire encore, l’audimat le prouve, on entretient ce qu’il y a de pire dans le système, une véritable éducation à la vulgarité, au sensationnel et à l’absence de réflexion.

Il faut au contraire se donner les moyens d’une réflexion en profondeur sur les moyens que nous avons encore à notre disposition de favoriser une autre conception de l’information, d’une culture qui ne soit pas une "exception", mais aboutisse à une démocratisation. Une telle réflexion est entamée en divers lieu, mais il faudrait envisager des États-généraux du droit à l’information, avec une remontée des discussions et échange entre journalistes et utilisateurs de la base au sommet. Il est temps de se parler.

Danielle Bleitrach, sociologue.


(1) Fonds de Pension Américain (USA)


Aucun commentaire:

Messages les plus consultés